Sur papier Ingres, faire tressaillir les échalotes
Sur un rayon de 70 kilomètres, en suivant la cartographie poétique de Clermont‑Ferrand et de sa région, j’ai parcouru certains sentiers de traverse du Puy‑de‑Dôme, tissant ainsi leurs nombreux niveaux de correspondances narratives et dramaturgiques. Mon regard se précipitant sur tout ce qui venait à moi, j’ai arpenté les paysages, les champs, les fermes, les ateliers, les vignes, les caves, les jardins, les marchés... J’ai rencontré des éleveuses, des alchimistes de l’huile de noix, des jardiniers, des cueilleurs de shiitakes, des cuisiniers... Puis je suis allé devant le théâtre, où des étals proposent chaque mois les nourritures issues du travail des hommes et où émerge toute une variété de fruits, de légumes, de viandes, de noix, de cailles, de poissons écailleux, de truites vivantes ou fumées... J’ai peint toute cette vie en direct et avec gourmandise, à coups de tracés à l’encre, à la gouache et au calame. De nouvelles formes, de nouvelles harmonies de couleurs ont surgi, enrichissant ainsi l’atlas des sensibles que constituent mes centaines de carnets de peinture. Tout cela est maintenant imprimé dans le livre des marchés peints de La Comédie avec la complicité artistique de l’équipe du théâtre. Mes peintures y sont accompagnées par les textes de l’écrivain Éric Roux qui m’a ouvert son champ de connaissances. La carte peinte de la région située tout autour de La Comédie permettra à chaque lecteur de trouver son sentier sur un mode de cheminement empreint de lenteur et de résonances intérieures. Voici donc livré dans un jaillissement de vies et de couleurs l’univers des champs et des jardins volcaniques, iodés et sanguins, novateurs et classiques. Il y a là le fruit du travail des humains qui prennent soin des nourritures, qui assurent notre subsistance, et perpétuent aussi les cycles de la vie
Je roule corps et âme vers la plaine de Gerzat, à la rencontre d’un couple de jardiniers engagés, locavores, enracinés dans un territoire fertile et pétri d’histoire. Je les peins en train de planter des Monalisa et des rates, dans toute la profondeur de ce paysage. Derrière moi il y a une cabane, des pommeraies et un pré qui, à chaque printemps, se couvre de pissenlits et d’orties sauvages : ils sont travaillés en suivant au plus près la saisonnalité et la respiration de la nature. Conduit dans l’esprit de la permaculture, ce potager est riche de plus de dix variétés de tomates, carottes, herbes, poireaux, choux, concombres, courgettes, groseilles, cassis, fenouils, petits pois, oignons blancs et rouges... Ce sont des sujets magnifiques que je peins à genoux dans la terre humide du potager. En plein centre‑ville, je retrouve dans l’atelier du nougatier certains des parfums de mon enfance, les saveurs des gâteaux de Jeanne, ma grand‑mère, qui faisait aussi son potager : nous avions toujours des tas de superbes fruits et légumes, groseilles, framboises, fraises, rhubarbe, noisettes, noix, amandes, qu’elle mélangeait à la pâte et au miel pour nous confectionner des gourmandises. Je peins là le corps à la musculature puissante de l’ancien basketteur professionnel qui brasse la pâte chaude du nougat. J’incorpore ses gestes, simulacre fugitif de cette réalité sensible.