Patrick Pleutin
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Road movie Dominique Boivin Patrick Pleutin
Dominique Boivin Nikolaïs m’a donné les outils pour analyser le mouvement, convoquer tous mes moi dans une même pièce, je devrais dire dans un même corps, n’abandonner aucun sentiment, me traquer dans les coins sombres, les coins poussiéreux, les coins que je veux cacher au regard des autres… Me traquer sans cesse et y trouver toute l’humanité possible… Dans mon solo Road Movie, qui dure à ce jour presque deux heures, je me raconte, je raconte ma vie de danseur, je raconte un corps de danseur vieux, je veux dire un corps usé, un corps érodé, car c’est bien cet objet corps qui m’intéresse. Un corps politique, culturel, social, un peu élimé, un peu beau, un peu souple, un peu dégarni, un peu doux, rugueux, fastueux, ridicule, tricheur, réel, intéressant et vulgaire. Je suis un taré et je mets mes tares en mouvement ! Je fais du recyclage physique, je me recycle. Je récupère des souvenirs, des mouvements stockés sur des étagères, des morceaux de vie, des lambeaux de moi. Je fais du collage, je fais une mise à jour… TITRE : ROAD MOVIE Tenues de scène - SAISON 1 Je sens bien que mes genoux ramollissent, que mes épaules coincent et que ma peau flétrit. Mes cheveux tombent et mes poils de sourcils aussi. Mes circuits électriques marchent encore, je sens les connexions. En revanche, j’ai la voûte plantaire qui s’affaisse et je ne peux plus sauter. Quand je suis seul, je me sens VIEUX, MOCHE et CON. … J’ai commencé la danse à 6 ans, j’ai appris la souplesse, la vitesse, le temps et l’espace. J’ai fait du classique, du moderne, du jazz, de la danse américaine, de la danse contemporaine, du mime et de la danse folklorique bretonne. J’ai croisé des gens bien, j’ai croisé des artistes, j’ai perdu mon temps, j’ai trouvé des amis, j’ai voyagé, j’ai bourlingué. J’ai toujours fait ce que je voulais en espérant que cela amuse les gens. J’ai porté des collants noirs, des académiques jaunes ou verts, des violets, des bariolés, des chamarrés, des orange, des trop grands avec des poches, sans pieds ou avec une cagoule. J’ai porté des costards branchés, j’ai porté du Zara, du H&M ou du C&A, des costumes signés, du Agnès B ou du Westwood. J’ai porté des perruques, des chapeaux qui explosent, des chaussures compensées, des bottes, des tongs ou des hauts talons. J’ai porté des robes toutes simples, à paillettes ou déchirées, des robes droites ou fendues. J’ai dansé avec les doigts, avec des objets, j’ai dansé sur du carton, j’ai dansé avec un rouleau de moquette. Je me suis roulé par terre et j’ai souvent dansé seul. … Je me souviens du pédiatre qui, en me prenant la main, a dit à ma mère : « Il a l’air gracieux, faites-lui faire de la danse ! » À ce moment-là, mon professeure de danse était une femme expérimentée. Elle savait sauter et finir en grand écart comme dans le french cancan… Nous étions trois garçons de 8 ans et on était ses boys… Elle donnait ses cours une clope au bec, et la cendre tombait par terre ou sur son pull noir. … Avoir le trac, toujours. Le drame, c’est d’entrer en scène en n’ayant pas envie de danser… Le drame, c’est aussi entendre les gens dire : « Je ne comprends rien à la danse contemporaine. » En fait, c’est prétentieux d’avoir mis cette petite robe noire. Bon, je vais parler de mes projets. Le passé, c’est plus facile, on le justifie en bilan où s’étalent des colonnes de chiffres. C’est un genre d’autopsie artistique que l’on doit faire tous les ans. On dissèque le nombre de spectateurs touchés, de spectacles vendus, de villes et de pays traversés, le coût des frais de pressing ou de kilométrage. Le passé, c’est aussi mes quinze premières années, quand je vivais chez mes parents. On connaissait des fins de mois toujours difficiles, et pourtant jamais mes parents ne m’ont dit : « On est pauvre à cause des riches. ». À cette époque, être pauvre n’était pas honteux, et je n’ai jamais été ni envieux ni méchant avec ceux qui avaient de l’argent. Oui, c’est parfois effrayant de devoir parler de ses projets, parce que ce n’est souvent qu’une simple idée ou une simple intuition, un tout petit bout de désir. … J’adore cette citation de Brassens : « Parlez-moi d’amour et je vous fous mon poing sur la gueule ! » J’ai lu : LA DÉMOCRATIE N’EST PAS UNE QUESTION DE CONFIANCE, MAIS D’EFFORTS ! Je pense à Nikolaïs, à Cage et à Cunningham avec qui j’ai travaillé. Ils m’ont appris le décentrement, ils m’ont appris à m’intéresser à autre chose qu’à moi-même. Ce n’est pas facile… LA PREUVE. … J’ai chiné des objets un peu partout. À New York, je me souviens de la maison de Nikolaïs ; il exposait sur une grande table ses centaines d’objets venus du monde entier… On aurait dit la maquette d’une future ville, un plan d’architecte, une utopie. … Février 1980, j’arrive à New York. Il y a des blocs de glace qui flottent sur l’Hudson… Bourse d’études de six mois pour finalement y rester un an. Tous les matins, je quittais le loft crade que je partageais avec un ingénieur français et une Américaine, et je marchais jusqu’au studio de Cunningham. … Dans le loft que je partageais, il y avait cette Américaine qui buvait des litres de café et fumait deux paquets de clopes par jour. Tous les samedis matin, elle nettoyait le sol du loft avec un produit pour désinfecter les écuries. Pendant ce temps-là, moi, je lavais les verres au fond d’un café français et faisais le comique/homme de ménage chez une dame obèse dont l’appartement donnait sur Central Park. Elle était tout le temps au lit à regarder la télé et elle avait des étagères proches d’elle pour avoir tout sous la main. Elle me payait souvent à ne rien faire, juste la faire rire. Pour d’autres, c’était plus extrême : je me souviens d’une danseuse française qui se prostituait pour payer ses cours de danse, et de ce chorégraphe qui baisait en public tous les samedis soir pour payer les danseurs de sa prochaine production. Onze mois plus tard, retour en France, Nikolaïs est arrivé de loin avec un sourire. On me présente à lui, mais je le connaissais déjà, on s’était rencontré à New York. À cette époque, nous n’étions pas plus de 100 danseurs contemporains, et on essayait tous de trouver une place. Aujourd’hui, on est presque 3 000 à essayer de la garder. … J’ai signé mon premier contrat professionnel pour un ballet municipal. Mon travail consistait à danser tout et n’importe quoi toute la saison, toutes les semaines, tous les week-ends et tous les jours fériés. Je passais d’un opéra vêtu d’un short doré à une opérette où j’avais Colt et chapeau de cow-boy, d’un plateau avec des verres dans Hello, Dolly ! à un collant académique recouvert de feuilles mortes pour raconter la création du monde. Je découvrais souvent le lundi ce que j’allais danser le week-end. 
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