La falaise, le rocher, la grotte, comme genèse de la peinture : Courbet scrutait et peignait sa Grotte Sarrazine et il suivait en peinture les reliefs des falaises de la Loue, jusqu’à sa source. Cézanne, lui, sondait les coupes de terrain au pied du Château noir, au fond de la Carrière de Bibémus, au pied des Meules ; il perçait le paysage aixois de mille vues dirigées vers le massif cristallin, plissé, et stratifié de la montagne Sainte-Victoire.
Ni paysage familier, ni modèle parcouru, ni réminiscence d’un voyage, la falaise que peint Pleutin est paradoxalement une falaise rouge inaccessible et jamais contemplée de visu par le peintre : Bâmiyân, une falaise suspendue entre réalité et fiction, entre occident et orient ; un long et haut mur naturel d’ocre rouge, encadrant une vallée en Afghanistan, entrevue par le peintre uniquement à travers des récits, des livres, des témoignages sonores, des photographies innombrables qui parsèment ses ateliers et nourrissent son œuvre. Les rochers de Bâmiyân sont d’abord apparus comme le fond et le leitmotiv d’un film d’animation (un court-métrage intitulé précisément Bâmiyân), dont Pleutin peint et anime les milliers d’images pendant presque deux ans. Au terme de la réalisation du film, et de retour à la peinture, la falaise remontera au premier plan du travail de l’artiste, et elle s’imposera dans une série de « stations » picturales fortement colorées, traitées de manière vigoureuse et monumentale.
Vues à travers des photographies, Bâmiyân se déploie comme un long ruban rocheux, composé de sortes d’immenses stèles collées les unes aux autres, incisées par le haut de saignées verticales qui rythment l’ensemble et lui donnent une solennité architecturale. Dans son tiers inférieur, la falaise d’origine est constellée d’orbites sombres, autant d’yeux noirs qui nous fixent, nous hypnotisent, et forcent l’œil à errer sur la paroi (ces trouées sont en fait des grottes creusées et peintes dans leur intérieur par les anciens habitants bouddhistes de la vallée). Dépassant toutes les autres en taille, deux grandes excavations jumelles, de forme vaguement ogivale, ont abrité respectivement deux immenses Bouddhas, l’un de 35 mètres de haut et l’autre de 55 mètres, sculptés et érigés par des artistes iconolâtres au IVe siècle de notre ère, puis partiellement défigurés par des iconoclastes au XVIIe siècle, et définitivement explosés et arrachés à la falaise en mars 2001. Falaise originelle et falaise terminale, donc, quasi eschatologique, où se sont jouées dans le même lieu et sur le même plan une inscription matérielle positive et une inscription matérielle négative, comme les deux pôles d’un récit mythique célébrant l’avènement de l’image, puis son occultation saisissante, laissant les milliers de spectateurs du monde profondément désemparés, et le peintre aussi bien sûr.