Sa relation avec les marchands est des plus amicales, la bienveillance et l’empathie avec ce monde qu’il souhaite traduire est sincère et plein d’humilité devant la présence inatteignable de ce qui est propre à la Nature. L’Art n’est qu’un ersatz, même s’il nous conduit à la rencontre du réel, on sait qu’il n’est qu’une imitation, même réussie, de la nature... Mais c’est dans l’action de peindre, ici un réel, que se retrouve une forte présence de Nature dans l’acception la plus étendue du mot. Patrick Pleutin dessine aussi dans les caves où poussent les champignons, il va même tailler les vignes avec un vigneron en plein milieu d’un mois de février sec et froid. Il participe au plus près de ce monde paysan « je peins entre les allées, à même la terre battue, les gestes des cueilleurs et mes peintures sont des incorporations de tous leurs gestes, en présence ».
Après ce temps passé, traduit en images dans la campagne, il va quitter jardin, champs, caves et potagers pour rendre compte ensuite, toujours en leur présence, des étals des marchands installés à proximité de la Comédie. Ils sont tenus par les paysans eux-mêmes qui savent parler de leurs productions, et qui trouvent ainsi l’occasion d’échanger directement avec le consommateur... « L’avantage de la vente directe c’est que vous avez le consommateur en face, vous saurez ce qu’il pense de vos produits : ça sort le paysan de sa ferme et de son quotidien »
Pour cette rencontre sur le marché, il s’est fait confectionner une table roulante de cantine sur laquelle il a posé de nombreux pots d’encres de couleurs, disposés dans une déclinaison d’arc en ciel, associés à des pinceaux et des calames appropriés. Il s’opère un amical jeu de face à face entre ces deux tables d’exposition, la sienne avec les ingrédients de sa production plastique et l’étal du marchand qui rivalise de couleurs naturelles exprimées par les légumes, fruits, et autres condiments.
La première manifestation avec le Marché s’est tenu dans la salle des Pas perdus de l’ancienne gare, où se trouvaient jadis les voyageurs en attente d’un prochain train, ou venus accueillir des amis ou parents, arrivés d’on ne sait où... Le chariot de l’artiste se déplaçait devant chaque étal des maraîchers pour les représenter derrière leurs produits offerts à la vente, l’ensemble toujours traduit dans une urgence de réalisation, comme si la courge, le poisson ou le fenouil allaient disparaître de sa vue. Il s’oppose, dans son rapport aux choses et au temps, à ce qui est propre au paysan, obligé d’attendre la germination, la pousse, la récolte dans cet espace temps inhérent à son travail. Deux êtres-là au monde qui se complètent parfaitement pour l’occasion.
Sur le terrain des paysans il avait posé ses feuilles de papier à même la terre pour dessiner. Dans la salle des Pas perdus il a posé également au sol deux lés d’une toile de 3 x10 m chacune, autour de laquelle il se déplace en effectuant des pas de danse improbables qui accompagnent, ou commandent, la gestuelle créatrice de ses pinceaux. Ces grandes toiles posées au sol sont comme des nappes qui recouvriraient des tables, mais qui sont en réalité pensées comme des passerelles, « une extension du plateau de la scène connecté au monde du théâtre ». La performance plastique et chorégraphique de l’artiste, est exécutée en public, comme un acteur sur scène exprimant sa présence au sujet. Cette toile sur laquelle il a posé des fruits, des légumes, du poisson, de la viande, qu’il matérialise entre linéaments de dessins et colorations de peinture, aurait pu être présentée sur un plan horizontal, placées à hauteur de table afin que les spectateurs se trouvent en face à face comme dans une tablée de convives, dissertant sur les ingrédients à partager, et ici présentifiés. Mais l’espace devait retourner aux Pas perdus pour les spectateurs du théâtre, et les toiles furent tendues sur châssis et élevées dans les airs, accrochées en haut des murs, en face l’une de l’autre dialoguant à distance. Ainsi, la peinture passa de la table au tableau. On est passé d’une position horizontale à une exposition verticale, quittant la proximité familière d’un repas éventuel pour rejoindre la chose sacralisée. Passer de la nourriture à consommer à celle à regarder, à admirer : lever la tête pour voir les images-présence nous regarder.